Esel – D.1 – II.1 Physiologus, Bestiarien

Discourant de l’animal réel, les auteurs ne font guère que recourir –quand ils y ont accès– aux encyclopédies léguées par l’Antiquité (Aristote, Pline), qu’ils citent à l’occasion. Sa connaissance ne sera renouvelée que par la découverte des traités anciens (Varron, Columelle), enrichis d’observations personnelles par les agronomes et les naturalistes de la Renaissance (Conrad Gesner, Charles Estienne- Jean Liébault, Olivier de Serres).

Dans l’attente, c’est par les bestiaires plus ou moins moralisés que transiteront des connaissances largement tributaires du Physiologus, compilation anonyme réunie au IIe siècle et très diffusée en Occident à partir du Xe siècle.

Le savoir zoologique sur l’âne reste cependant tributaire des naturalistes et agronomes de l’Antiquité et ne se prive pas de véhiculer leurs préjugés. Il faudra attendre le XVIe siècle pour que Conrad Gesner (Historia animalium) enrichisse sa bibliothèque d’observations personnelles et propose une révision d’image: »tout ce qu’il fait est pris en mauvaise part. C’est pourtant un animal docile et bienveillant, sans malice.«

Au vu de l’attention que lui accordent la Bible et la religion chrétienne, on pourrait s’attendre à ce que les bestiaires moralisés accordent à l’âne un semblable intérêt. Or il n’y tient qu’une place parcimonieuse. Encore doit-il la partager avec son cousin l’onagre, à qui vont les prédicats de plus grand relief. C’est lui, en effet, assure Pierre de Beauvais (à la suite du Physiologus) qui, le 25 mars, le jour comme la nuit, brait une fois par heure, ce qui permet de »savoir que l’on est le jour de l’équinoxe« (Bestiaires du Moyen Âge, 43); il signale ainsi un décisif retournement de tendance, le peuple qui vivait jusque-là dans la nuit (le péché) revenant à Dieu pour rendre sa foi égale à celle des patriarches et des prophètes. C’est pourquoi l’âne sauvage est le symbole du Diable qui retentit dans ce braiement et de son dépit, car il sent alors lui échapper les âmes en perdition; il brait car il désire sa pâture, déclare Job, dans une parole annonciatrice de celle de saint Pierre: l’Ennemi rôde autour de nous comme le lion en quête de sa proie. Guillaume Le Clerc de Normandie développe davantage le propos, mettant l’accent sur la colère du démon et précisant la certitude eschatologique: son braiement sera infini, car l’humanité se rassemblera alors sous la houlette du bon pasteur, Jésus-Christ son sauveur (ibid., 101). Ce même auteur avait déclaré auparavant que, dans les grandes compagnies d’onagres qui habitent les monts et les vaux »d’Afrique la Grande«, chaque troupeau obéit à un mâle dominant, si jaloux de son autorité qu’il coupe avec ses dents les testicules des ânons mâles pour conserver son privilège: un propos trouvé chez Pline (Hist. nat., 8) mais que celui-ci ne réservait pas à l’onagre. Brunetto Latini fait lui aussi état de cette jalousie, y ajoutant les efforts de l’ânesse pour soustraire son poulain à cette mutilation. De la variété domestique, B. Latini ne trouvera »chose ki face à ramantevoir en conte«, si ce n’est sa négligence et sa sottise, dont on a fait »maints proverbes «. Le Livre de la propriété des choses, que Jean Corbechon traduit en 1372 du traité latin composé vers 1240 par le franciscain Barthélemy l’Anglais, est plus expéditif encore: il ne retient de l’âne domestique que sa stupidité (18,7) voyant même comme trait distinctif du cheval une luxure que l’âne ne tardera pas à se réapproprier. Il veut bien toutefois concéder à ce dernier le pouvoir de sa corne contre l’épilepsie et celui de la fumée de son poumon contre les reptiles et crapauds qui entreraient dans la maison (ibid., 262-263).

Il y a plus d’originalité chez Richard de Fournival quand il greffe sur les natures animales héritées du Physiologus une ingénieuse suite de comparaisons par lesquelles, suivant l’éthique courtoise, il plaide sa cause auprès d’une dame qui s’est montrée rétive à son chant. »Arrière-ban« de son effort de séduction, son discours, qui s’est ouvert sur l’évocation du coq (dont le chant se teinte encore d’espoir, à l’aube comme au crépuscule), se poursuit par l’âne sauvage qui, poussé d’une faim extrême, brait au comble du désespoir, d’une voix si laide et si horrible que tous ses organes se rompront (Le Bestiaire d’Amour et la Response du Bestiaire, 161-163). Si l’on en juge d’après le sentiment prêté à la Dame par la Response (ibid., 285), l’Amant aura toutefois perdu son temps.

Lit.: Bestiaires du Moyen Âge, éd. G. BIANCIOTTO, 1980; Jean Corbechon: Livre de la propriété des choses, éd. M. HUSS, 1491; Le Bestiaire d’Amour et la Response du Bestiaire, éd. G. BIANCIOTTO, 2009.

Michel Bideaux

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