La Grue est un grand échassier dont existent diverses espèces de par le monde. Deux d’entre elles sont européennes, la Grue cendrée (Grus grus), oiseau élancé et haut sur pattes d’une stature de près de 1m20 et d’une envergure en vol d’environ 2 m. Elle a le plumage d’une tonalité uniformément gris sombre, le cou distinct d’une bande noire à l’avant et blanche à l’arrière, et portant une tache rouge à l’arrière de la tête chez les adultes. Très souvent représentée dans les mss médiévaux, elle se reconnaît aisément. Une espèce un peu plus petite, la Grue demoiselle (ou Demoiselle de Numidie, Anthropoides virgo), fait moins d’1 m de haut pour une envergure d’environ 1m60; elle a le plumage gris plus clair, le cou noir, et une aigrette blanche qui lui encadre le haut du cou en retombant à partir du sommet de la tête. Elle est connue de Frédéric II de Hohenstaufen dont le ms. illustré (Vatican, Pal. lat. 1071) la peint avec exactitude (→ C II.3). La Grue cendrée niche actuellement en Scandinavie et dans le Nord-Est de l’Europe, mais était plus répandue au Moyen Age, se reproduisant quasi dans tous les pays de façon sporadique (France, Angleterre, Italie, Espagne) ou importante (Hongrie, Roumanie, Grèce). On pouvait l’apprivoiser et on gardait des grues captives comme oiseau d’agrément: on le constate dans des documents écrits et figurés des XIIIe-XVIe s., et la pratique a perduré jusqu’à un passé récent en Hongrie. On chassait activement les grues, soit au moyen des grands → faucons (gerfaut, sacre, pèlerin), engagés en équipe à la poursuite d’une grue (→ C II.3), soit à l’arc ou à l’arbalète, comme le montrent les miniatures du Tacuinum Sanitatis. La chair de grue, assez dure et nécessitant un temps de faisandage (cf. notices des encyclopédies), était consommée, et les textes littéraires s’en font l’écho, par le topos des banquets seigneuriaux contés dans les romans et les chansons de geste, et dans des récits facétieux comme le conte de Chichibio dans le Décaméron de Boccace (→ D.2 IV.2). La Grue cendrée est un grand migrateur, qui traverse à l’automne et au printemps toute l’Europe, dans d’impressionnants vols en V qui ont de tout temps attiré l’attention des hommes, marquant la transition des saisons.
Lit.: U. ALBARELLA: They dined on crane: bird consumption, wild fowling and status in medieval England, Acta zoologica Cracoviensia 45 (2002), 23-38; L. BODSON: La migration des grues d’après les auteurs grecs et latins, Aves Contact 6 (1998), 2-5; B. GUNDA: Die Jagd und Domestikation des Kranichs bei den Ungarn, dans: Ethnographica Carpatho-Balearica, 1979, 89-113; B. VAN DEN ABEELE: Migrations médiévales de la grue, Micrologus 8 (2000), 65-78; IBID.: Une grue dans le jardin. Un oiseau migrateur captif au Moyen Age, à paraître dans les actes du colloque L’animal captif au Moyen Age (Valenciennes, nov. 2007).
Baudouin Van den Abeele