Wal – B.2 Bibel und Bibelexegese

Si nous associons volontiers la baleine au récit du petit prophète Jonas, il est paradoxal de constater que, dans le texte biblique lui-même, le terme »baleine« n’apparaît pas explicitement, tant dans la Vulgate que dans les traductions les plus récentes. En réalité, pour comprendre les rapports entre la baleine et la Bible, il convient de rechercher, du moins dans les versions grecques ou latines de celle-ci, l’occurrence du terme grec ketos, ou, en latin, cetus. En effet, depuis l’Antiquité, ketos (cetus) désigne soit un monstre marin, de nature mal définie, soit un poisson d’une taille jugée exceptionnelle, comme la baleine; au Moyen Âge, le cetus est assimilé de manière de plus en plus exclusive à la baleine. Ketos, dans la Septante, ou cetus, dans la Vulgate, traduit le terme tannînim du texte massorétique, mot qui s’applique aux grandes créatures marines (Gn 1, 21), crocodiles, et autres monstres souvent associés aux monstres primordiaux, forces du mal combattues par la divinité (Is 27, 1). Léviathan, monstre biblique par excellence, a lui-même été considéré comme un ketos (Jb 3, 8). La Septante traduit également par ketos l’expression dāg gādōl (›grand poisson‹), employée dans le texte hébreu pour désigner le ›grand poisson‹ qui engloutit Jonas. Dans l’Evangile, Matthieu utilise le mot ketos quand il rapporte les paroles du Christ à propos du »signe de Jonas« (Mt 12, 40). La Vulgate donne piscis grandis dans le Livre de Jonas, conformément au texte massorétique, et cetus dans l’évangile. L’identification du monstre à la baleine n’est attestée dans les textes qu’à partir du XIe siècle (mention de la baleine de Jonas dans La Chanson de Roland).

Nous devons à la mention des cete grandia dans la Genèse (Gn 1, 21) les longs passages consacrés au cetus/baleine dans les commentaires des Pères de l’Eglise sur la Création (Basile de Césarée, Hexaemeron 7, 2, 6. Ambroise de Milan, Hexaemeron 5, 3, 7-9; 5, 10, 26-31; 5, 11, 32). La baleine y apparaît comme un animal ambivalent, soulevant à la fois fascination et crainte. Selon les Pères, cet animal monstrueux, qui n’inspire aux hommes que la terreur, aurait comme rôle de fortifier le chrétien dans sa foi, en le mettant à l’épreuve. Mais la baleine, par sa taille hors norme, force l’admiration de Basile et d’Ambroise; elle est pour eux la manifestation de l’ »indicible puissance du Créateur« (Bas. Hex. 7, 2). De plus, elle fait preuve d’un comportement exemplaire : elle ne connaît pas l’adultère, veille avec soin sur sa progéniture et obéit au Créateur.

C’est sans aucun doute le récit de Jonas, englouti trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, qui a fait de cet animal un  »animal célèbre« (Jon 2). Depuis que le Christ lui-même a interprété l’épisode comme une préfigure de sa mort et de sa résurrection (Mt 12,40), le séjour de Jonas dans les entrailles du monstre a été abondamment commenté. Le caractère ambivalent de la baleine est ici très clair. En tant que préfigure de la mort du Christ, le monstre représente avant tout la mort, et ses entrailles, l’enfer (Jon 2, 3) (Irénée de Lyon, Adversus haereses 5, 31, 1; Jérôme, Commentaire sur Jonas 2, 1a). Le monstre marin est comparé à l’oiseau de proie ou au loup dévorant, animaux sauvages signifiant pour leur victime la disparition du corps et l’anéantissement de l’âme (Tertullien, De carnis resurrectione 32; Grégoire de Nysse, In Christi resurrectionem). Mais Jonas sorti indemne du ventre de la baleine est une figure du salut universel; la sauvegarde du prophète est interprétée comme une garantie de l’intégrité des corps à la résurrection. Grâce à Dieu, Jonas a été respecté par le monstre »habitué à digérer les débris des naufrages« (Tertullien, De carnis resurrectione, 58). Pour Jonas, le monstre dévorant devient donc plutôt un réceptacle, un refuge, qui l’empêche de mourir et lui permet de renaître (Jérôme, Comm. 2, 1a). Les exégètes présentent alors volontiers le monstre comme une créature hospitalière et docile, aux entrailles »emménagées« pour conserver la vie du prophète (Augustin, Epistulae 102, 31-32).

Le caractère mortifère prêté à la baleine est encore amplifié par son association à Léviathan. En effet, par l’utilisation du terme ketos en lieu et place de »Léviathan«, dans la Septante (Jb 3, 8), le ketos devient explicitement un type du Léviathan (Origène, Homélies sur le Lévitique; Jérôme, In Esaiam 8, 27, 1). Ainsi, Origène interprète les kete de la Genèse comme figures du diable et incarnations du Mal (Origène, Homélies sur la Genèse 1, 9). Pour Grégoire le Grand, le cetus est un type de l’Antéchrist, l’antique ennemi sous une forme marine (Grégoire le Grand, Moralia in Job 8, 23, 39). Selon Thomas d’Aquin, il faut reconnaître en Job 40-41 une description de la baleine; aussi le théologien s’est-il employé à mettre en correspondance les informations livrées par le texte biblique avec les connaissances scientifiques de son temps à propos de la baleine (Expositio super Iob).

Lit.: Y.-M. Duval: Le Livre de Jonas dans la littérature chrétienne grecque et latine. Sources et influence du Commentaire sur Jonas de saint Jérôme, 1973; D. James-Raoul/C. Thomasset (ed.): Dans l’eau, sous l’eau. Le monde aquatique au Moyen Âge, 2002; J. Voisenet: Périr par la gueule de la bête, dans: Milieux naturels, espaces sociaux. Etudes offertes à Robert Delort, 1997, 209-218. H. Cambier: La baleine au Moyen Âge. Traditions textuelles et iconographiques. À paraître.

Hélène Cambier