Colombes et tourterelles sont présentes dans les bestiaires dès le Physiologos grec, et toutes les versions connues les interprètent peu ou prou dans les mêmes termes.
Dans le Physiologos, la tourterelle est essentiellement caractérisée par sa monogamie et son goût pour les habitats retirés. A ce titre elle est interprétée comme une figure des religieux réguliers, et plus particulièrement des anachorètes. Typologiquement, elle est associée à la Transfiguration.
Pour ce qui est des colombes, l’exégète alexandrin en a surtout retenu la variété de plumages: »Le Physiologue a traité de la diversité des colombes: Il existe des colombes élevées dans des colombiers et de nombreuses espèces de colombes; elles sont de toutes les couleurs: il y a la grise, la noirâtre, la bigarrée, la blanche, la colombe de feu«. Ce passage sera repris dans plusieurs Bestiaires. Le texte grec retient surtout de cette diversité que seuls les mâles roux parviennent à séduire toutes les femelles, y compris celles des autres mâles. Il a donc fait de la colombe rousse, ou couleur de feu, une figure du Messie qui a su convertir tous les hommes. Les autres colombes représentent les prophètes, dont le message n’a été entendu que par le peuple élu. Typologiquement elle est associée au Baptême du Christ.
On trouve également la mention des colombes dans le chapitre sur le peredixion, un arbre localisé en Inde, où les colombes ont l’habitude de nicher et dont elles mangent les fruits. Elles l’affectionnent aussi car il les protège du dragon qui les guette en prenant garde de ne point entrer dans l’ombre de l’arbre, dont le contact lui serait fatal. Si une colombe s’éloigne de la protection de l’arbre, le dragon la dévore. Dans ce contexte, les colombes figurent les chrétiens qui nichent dans l’arbre, allégorie de Dieu, alors que le dragon représente le diable.
Enfin, certaines versions du Physiologos consacrent un chapitre à la prédation que les faucons exercent sur les colombes isolées, et en font une illustration de la nécessité pour les chrétiens de rester groupés au sein de l’Église.
Les versions latines du texte ne varient pas beaucoup du texte grec pour ces chapitres, et conservent les principales interprétations telles que décrites ci-dessus. Toutefois, on peut noter que la version B du Physiologus latin et ses dérivés - dont les bestiaires latins - fait de la tourterelle non plus uniquement une figure des religieux mais aussi de l’Église en tant qu’épouse du Christ.
Pour les colombes, le développement, dans la version A notamment, porte sur les différentes couleurs qui sont interprétées chacune différemment. Les colombes noires signifient la complexité de la Loi sacrée; les bariolées sont assimilées aux prophètes, les bleutées à Élie, les cendrées à Jonas, les dorées aux hébreux dans la fournaise, les blanches à Jean-Baptiste et les stéphanines (couleurs encore indéterminée) au protomartyr Étienne.
L’utilisation des Étymologies isidoriennes parmi les sources des différentes versions et familles du bestiaire latin fait que les chapitres sur les colombidés sont enrichis d’un court passage sur l’origine de leurs noms. L’évêque sévillan fait remonter l’origine du nom de la tourterelle à son cri et celui de la colombe à l’aspect moiré de son cou (collum) qui change de couleurs à chaque mouvement. Certaines versions du bestiaire fusionnent les chapitres sur les colombes et sur le peredixion. Diverses autres sources du Bestiaire ont contribué à enrichir la liste de leurs natures allégoriques.
Mais l’Aviarium de Hugues de Fouilloy (1-11) leur consacre un développement beaucoup plus long que dans les autres bestiaires en raison de l’assimilation ancienne de la colombe aux religieux dans la culture occidentale. En effet, bien que généralement assimilé au genre du bestiaire, l’Aviarium a été conçu à l’origine comme un manuel destiné à enseigner les obligations de la vie religieuse.
Les 11 premiers chapitres du Traité des oiseaux proposent une exégèse de la colombe mentionnée dans le verset 14 du psaume 67: »Si vous dormez au milieu de vos héritages, vous serez comme des plumes argentées d’une colombe dont le bas du dos est couleur d’or pâle«; et dans le verset 7 du psaume 54: »qui me donnera des ailes comme la colombe, et je m’envolerai et je me poserai?«. La colombe y est présentée comme une image du religieux qui médite les écritures (les héritages) et cultive les bonnes actions (l’or et l’argent sur les ailes), afin de parvenir à l’élévation spirituelle et de s’élever vers Dieu comme la colombe s’envole vers les cieux. Le onzième chapitre du traité résume les principales natures des colombes en une liste claire et en donne brièvement l’interprétation exégétique la plus courante: »La première propriété de la colombe c’est qu’en guise de chant elle émet un soupir; la seconde est qu’elle n’a pas de fiel; la troisième est l’ardeur de ses baisers; la quatrième qu’elle vole en groupe; la cinquième qu’elle ne vit pas de prédation; la sixième qu’elle collecte les meilleures graines; la septième qu’elle ne se nourrit pas de cadavres; la huitième qu’elle niche dans les creux de rocher; la neuvième qu’elle vit près de l’eau courante, afin que lorsqu’elle voit l’ombre de l’autour elle puisse éviter ce dernier plus rapidement son approche; la dixième qu’elle élève deux petits. Au lieu d’un chant la colombe émet un soupir, parce qu’en gémissant elle pleure ses actes manqués. Elle n’a pas de fiel, qui représente l’amertume de la haine. Elle est avide de baisers parce qu’elle se plaît dans l’abondance de paix. Elle vole en groupes car elle aime la vie en communauté. Elle ne vit pas de prédation, parce qu’elle ne prend pas à son voisin. Elle collecte les meilleurs grains que sont les enseignements de la morale. Elle ne se nourrit pas de cadavres, qui sont les désirs charnels. Elle niche dans les creux de rochers, parce qu’elle place son espérance en la passion du Christ. Elle vit près de l’eau courante, afin que lorsqu’elle voit l’ombre de l’autour elle puisse l’éviter plus rapidement à son approche, parce qu’elle étudie l’Écriture afin d’éviter les pièges du diable en approche. Elle entretient deux petits qui sont l’amour du prochain et l’amour de Dieu«.
Lit.: G. Bianciotto: Sur le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival, dans: Épopée animale, fable, fabliaux, 1984, 107-119; W. B. Clark: The medieval Book of Birds, 1992; Ibid.: A Medieval Book of Beasts, 2006; F. Ohly: Probleme der mittelalterlichen Bedeutungsforschung und das Taubenbild des Hugo des Folieto, dans: Frühmittelalterliche Studien 2 (1968), 162-201; A. Zucker: Physiologos, 2004.
Rémy Cordonnier
Zurück zu "Taube" | Zurück zu "C. Lateinische Literatur" | Zurück zu "C. Lateinische Literatur - I. Terminologisches" | Weiter zu "C. Lateinische Literatur - II.2 Tierkunde, Enzyklopädik"